Lance Henriksen n'est pas un comédien ordinaire. Sa longue silhouette et son visage émacié hantent la mémoire des spectateurs. Qu'il interprète l'androïde d'Aliens, le vampire fatigué de Near Dark ou le père déchiré de Pumpkinhead, on ne remarque que lui sur l'écran. Pour Henriksen, jouer est bien plus qu'une profession : c'est une manière de vivre, un don total de sa personne. Voilà qui explique certainement le souffle incomparable qu'il apporte à chacun des films. D'une voix grave et posée, il nous confie ses vues sur la question et nous donne une passionnante leçon sur la manière dont il a façonné ses personnages.
Lance Henriksen
Quel a été le premier film dans lequel
vous ayiez joué ?
J'ai débuté dans Un après-midi de
chien aux côtés d'Al Pacino. Je jouais le rôle de l'agent
du FBI qui le tue à la fin du film. Cela m'a immédiatement
apporté beaucoup de propositions de travail et je dois avouer que
cela m'a surpris. Je pensais vraiment que toute ma carrière se déroulerait
au théâtre. Depuis, j'enchaîne film sur film et j'aime
ça !
Avez-vous complètement renoncé au théâtre
?
Pas du tout, mais cela fait un bon moment que je n'ai
plus le temps de m'y consacrer. J'aimerais avoir la possibilité
de jouer une pièce pendant une longue période de temps. Au
cinéma comme au théâtre, on n'a jamais la possibilité
de creuser les personnages à fond, même si certains réalisateurs
permettent de nombreuses prises.
Pourtant, vous avez eu l'occasion de soigner particulièrement
votre personnage pour Near Dark...
C'est bien pour cela qu'il s'agit de mon film favori!
Bien avant le tournage, nous avons organisé une répétition
pendant laquelle nous avons improvisé sur nos personnages. Je me
suis souvenu qu'Elvis Presley détestait la lumière et qu'il
faisait mettre des feuilles de papier métallisé sur les fenêtres.
J'ai alors proposé que nous fassions la même chose dans la
pièce où nous nous trouvions afin de nous protéger
du soleil. C'est ainsi que j'ai travaillé mon rôle : en pensant
aux besoins de mon personnage. J'ai mis de faux ongles que j'ai ébréchés
avec des tenailles. J'ai laissé pousser mes cheveux. C'était
vraiment excitant de le voir prendre vie peu à peu.
Est-il vrai que vous lui ayiez créé un
passé ?
J'ai ressenti le besoin de le faire pour pouvoir me rapprocher
de lui. Je me suis alors raconté l'histoire de son passé.
Lorsqu'il était un être humain normal, Jesse combattait dans
la Marine Sudiste. Après être devenu vampire, ses amis et
lui ont eu beaucoup de mal à subvenir à leurs besoins : ils
ne trouvaient pas de sang assez riche pour pouvoir se nourrir convenablement.
C'est pour cela que, dans le film, leur espèce est affaiblie. Ce
sont des voyageurs fatigués. Mettez-vous à leur place : ils
ont tout vu, tout vécu. Ils sont las de faire toujours la même
chose depuis si longtemps. Ils parviennent encore à s'amuser parfois,
le temps d'un meurtre. Mais leur race est sur le point de disparaître.
Avez-vous participé à l'écriture
du script ?
Pas vraiment, mais j'ai beaucoup discuté avec
Kathryn Bigelow avant le tournage. Nous avons échangé de
nombreuses idées et nous nous sommes mis d'accord sur la façon
dont nous allions envisager le personnage de Jesse. J'ai souvent improvisé
pendant les prises et je suis très reconnaissant à Kathryn
de m'avoir laissé cette liberté. Je suis certain que le personnage
y a gagné en profondeur et en sensibilité.
Avez-vous vu beaucoup de films de vampires avant de
vous mettre au travail ?
J'en ai vu pas mal lorsque j'étais adolescent.
Après le tournage de Near Dark, je suis allé voir The Lost
Boys et cela ne m'a vraiment pas enthousiasmé. J'ai trouvé
que le film ressemblait à un long vidéo-clip. On a l'impression
que les vampires passent plus de temps à danser qu'à essayer
de survivre...
Avez-vous lu le livre d'Ann Rice "Entretien avec un
Vampire" ?
Quel roman merveilleux ! Je donnerais n'importe quoi
pour pouvoir interpréter ce rôle ! Saviez-vous qu'Ann Rice
a écrit ce livre pendant que sa fille était sur le point
de mourir de leucémie ? C'est le fait d'écrire qui l'a aidée
à supporter cette épreuve. Je trouve que Near Dark est proche
de ce roman : on insiste plus sur la psychologie des vampires que sur les
effets horrifiques.
Vous semblez vous être totalement identifié
à Jesse ?
Je suis même allé dans un cimetière
de soldats nordistes pour voir les tombes de mes vieux ennemis et j'ai
même failli les outrager ! Mais, je me suis retenu parce qu'on aurait
pu me voir de la route ! Je dois aussi avouer que j'ai fait bien pire :
j'avais envie de savoir jusqu'ou je pouvais aller pour effrayer quelqu'un.
Alors, j'ai mis mes ongles de vampires et je suis parti en voiture sur
une route déserte. Là, j'ai pris un auto-stoppeur et j'ai
commencé à le terroriser. Entendons-nous bien : je ne lui
ai rien fait de physique, j'ai juste usé de psychologie. Je lui
ai demandé de me rouler une cigarette et, lorsqu'il a eu fini, je
l'ai lancée par la fenêtre en lui disant "Tu appelles ça
une cigarette ?". Puis je lui ai demandé de mettre de la musique
et je n'arrêtais pas de le regarder fixement. Il devenait de plus
en plus nerveux. Il a tenu une bonne demi-heure, puis, il a craqué
: il m'a demandé de l'arrêter en rase campagne. Je l'ai déposé
à un arrêt de bus et je lui ai donné tout l'argent
liquide que j'avais sur moi. J'avais vraiment honte mais cela ne m'a pas
empêché de renouveler plusieurs fois l'expérience.
Je voulais savoir comment reconnaître la victime idéale.
Quelle est, pour vous, la victime idéale ?
Les gens qui se sont cherchés toute leur vie sans
jamais se trouver et qui semblent demander qu'on les achève. Pour
moi, les vampires ne sont pas des tueurs pervers, ils se comportent davantage
comme des loups. Ils sont là pour éliminer certains éléments
faibles de notre société.
Jesse est un personnage attachant ; Ne trouvez-vous
pas que son destin est injuste ?
Je suis bien content de voir que vous l'avez ressenti
ainsi. Je suis tout à fait d'accord. J'aurais aimé pouvoir
creuser davantage le personnage. J'aurais rêvé d'un film en
cinq épisodes : il y aurait encore tant à faire, tant à
montrer... J'ai d'ailleurs écrit un script qui raconte le début
de ses aventures.
Racontez...
J'ai la première scène du film bien en
tête. On commence par une scène de bataille navale pendant
la guerre de Sécession. Les bateaux se disloquent et les hommes
sont écrasés sous les poutres. Je suis là, sur le
pont, la poitrine défoncée. Des ombres maléfiques
s'approchent des hommes et commencent à se nourir de leur sang.
L'une d'elles s'approche de moi et décide de me sauver... J'espère
vraiment que nous pourrons monter ce projet. J'aimerais bien que Kathryn
le réalise mais elle est terriblement occupée depuis Near
Dark.
Lorsque vous écrivez un scénario, vous
réservez vous toujours un rôle ?
Absolument ! On n'est jamais si bien servi que par soi-même
! On ne me propose jamais de grand rôle comme Taxi Driver ou Ironweed
alors j'essaye de créer des personnages qui me mettent en valeur.
Quel type de scénarios écrivez-vous ?
J'ai écrit l'histoire d'un homme qui se met en
orbite autour de la terre parce qu'il a raté sa vie. Il n'a jamais
pu réaliser ses rêves par manque de volonté. Sa femme
l'a quitté, lassée de voir qu'il ne finit jamais ce qu'il
entreprend. Son voyage va lui donner la possibilité de faire enfin
quelque chose de sa vie et de retrouver ce qu'il a perdu.
Comptez-vous passer à la réalisation
?
Seulement si on me le propose. Je n'aimerais d'ailleurs
pas réaliser des films aux Etats-Unis. Il faut être masochiste
pour être metteur en scène en Amérique : on a si peu
de liberté... J'aimerais mieux essayer en Europe.
Parlons un peu de Pumpkinhead... Avez-vous rencontré
Stan Winston sur Aliens ?
Nous nous connaissons depuis bien plus longtemps que
cela ! Nous nous sommes rencontrés il y a douze ans sur le tournage
de Mansion of the Doom, vous savez le remake des Yeux Sans Visage. Stan
rêvait de devenir comédien à l'époque. Lorsque
je l'ai revu sur Aliens, je lui ai dit que ce serait intéressant
d'essayer de monter un projet ensemble. J'aime beaucoup ce film même
si je trouve son intrigue un peu simpliste. J'ai vraiment tenté
de donner du relief à mon personnage. Je pense que les comédiens
doivent travailler au maximun quand le script n'est pas à la hauteur
: c'est à eux d'éviter que le film tombe dans la médiocrité.
Je me suis tellement passionné pour la vie intérieure du
personnage que j'en suis venu à oublier la minceur de l'histoire.
J'ai vraiment énormément souffert au moment où il
perd son fils.
Comment Stan Winston a-t-il travaillé son scénario
?
Je pense que tout le monde est d'accord pour dire que
Stan est un maquilleur de génie. On lui a confié une intrigue
prétexte sur laquelle devaient se greffer ses effets spéciaux.
La première mouture du scénario était vraiment affligeante.
Stan a passé beaucoup de temps à retravailler, à essayer
de rendre l'histoire plus attachante. Je pense que le résultat ne
manque pas d'intérêt.
Quelles ont été vos réactions
face au monstre ?
J'ai essayé de retrouver ce que je ressens lorsque
je fait un cauchemar et cela m'a énormément aidé.
Je fais d'ailleur aussi la voix du monstre, ce qui était particulièrement
amusant.
Vous avez participé à de nombreux films
fantastiques. Est-ce par goût ou n'avez vous pas le choix ?
C'est un bon moyen de se faire un nom. Avec les films
d'horreur, vous avez une meilleure chance de faire passer votre personnalité
et d'atteindre parfois un excellent niveau artistique. Je considère
chaque film comme extrêmement important. Je considère la moindre
série Z avec autant de sérieux et de passion que si l'on
me confiait le personnage principal de Mission.
On vous a longtemps cantonné dans des rôles
de "méchants". Comment expliquez-vous cela ?
Beaucoup de carrières ont commencé ainsi.
On vous fait d'abord jouer les seconds rôles de méchants puis,
si vous vous en tirez bien, on vous donne un personnage plus important.
Ce n'est que bien après que vous pouvez avoir la possibilité
de changer de registre. Je n'étais pas assez beau gosse pour jouer
les jeunes premiers.
Vous venez de terminer un autre film fantastique :
Horror Show. De quoi s'agit-il ?
Je suis un policier qui cherche à capturer un
tueur psychopathe très dangeureux. Le fou se laisse prendre dans
mes filets mais il meurt électrocuté. Bien sûr, il
n'est pas tout à fait mort et il revient se venger de moi en s'attaquant
à ma famille. Pour une fois, j'ai un rôle de gentil, mais
rassurez-vous, ce n'est pas le type de héros fade avec lequel on
s'ennuie au bout de cinq minutes ! Brion James interprète le tueur.
Nous nous étions surnommés "les Androïdes" puisqu'il
a joué un robot dans Blade Runner et que j'en ai interprété
un dans Aliens.
Quel est votre plus beau souvenir de tournage ?
Je pense que c'est ma rencontre avec François
Truffau dans Rencontres du Troisième Type. Nous avons passé
près de quatre mois de tournage ensemble. Cela l'agaçait
de me voir arpenter le studio entre chaque prise alors il m'a offert un
livre et m'a demandé de venir le lui raconter dès que je
l'aurais lu. A la fin du tournage, il m'a offert un exemplaire du scénario
des Quatre cents coups. Il m'a dit que je lui évoquais l'enfant
du film...
Quels sont les personnages avec lesquels vous rêveriez
de collaborer ?
Marlon Brando et Robert de Niro sont mes comédiens
favoris. J'aime aussi beaucoup Pacino mais j'ai déjà travaillé
avec lui sur scène et à l'écran. Roland Joffe est
le réalisateur que j'admire le plus. Il y a une force dans ses films
que je n'ai jamais trouvée dans aucun autre.
Quels sont vos projets immédiats ?
Me reposer ! Le tournage de Horror Show a été
épuisant physiquement et moralement. Alors, je prends de longs bains
chauds le temps de me remettre de mes émotions. J'ai dû refuser
deux films parce que je ne me sentais pas capable d'enchaîner rapidement
d'autres rôles. Je pense qu'il est vraiment essentiel de trouver
parfois le temps de prendre du recul...
Propos recueillis par Caroline Vié. (Novembre 1988)