Le sinistre personnage vêtu d'une houppelande noire, le visage à demi masqué par une écharpe, le crâne chauve protégé par un béret à la manière des artistes du Montparnasse des années 20, quitta l'hôtel borgne qui lui servait à la fois de refuge et de laboratoire, muni d'une sacoche contenant divers instruments de chirurgie, afin de trouver une malheureuse femme égarée dans la ville noyée de brouillard et d'obscurité, prochaine victime des expériences iniques auxquelles il se livrait. Virginia Caldwell referma, oppressée, le livre qu'elle tenait dans ses mains encore tremblantes, alors qu'au dehors, l'orage grondait. Virginia adorait les romans d'horreur, mais celui-ci, écrit par un certain Malcom Brand, dépassait en ignominies tout ce qui avait été conçu jusqu'alors. Même Stephen King, c'était du miel. Hélas pour elle, en lisant cet ouvrage découvert dans un lot de vieux bouquins, elle ne s'imaginait pas qu'elle venait de ramener à la vie Malcom Brand lui-même, physicien à l'esprit dérangé, féru de sorcellerie, héros sanguinaire de ses propres récits, qui jadis n'avait pas hésité à se mutiler, se coupant oreilles, nez et lèvres, pour plaire à la femme qu'il aimait. Virginia ne savait pas encore quel cauchemar elle allait vivre !

I Madman (Lectures Diaboliques), pourra surprendre les plus blasés des amateurs de cinéma fantastique, tant cette production orchestrée par Tibor Takacs (dont le premier film, La fissure, fut un succès au box-office américain, principalement en raison de ses stupéfiants effets spéciaux visuels) s'avère aller à contre-courant de l'appauvrissement caractérisant les autres productions. Sur un excellent scénario de David Chaskin, le jeune metteur en scène réussit un petit chef-d'oeuvre caustique et impertiment, d'une rare cruauté, où l'angoisse et la peur naissent au détour de chaque plan. Les frissons engendrés ne le sont qu'au premier degré, le rire succèdant toujours à la terreur, et le cinéphile pourra apprécier les hommages innombrales effectués par Takacs et son scénariste. Malcom Brand, le tueur fou poursuivant de ses assiduités la belle Virginia (Jenny Wright, vampire dans Near Dark) évoque la sombre silhouette de Vincent Price dans House of Wax. La bibliothèque aux lions servant de décor à une singulière traque policière, semble identique à celle de La Foire des ténébres de Ray Bradbury. Le pianiste jouant solitairement dans la nuit, inquiétante et énigmatique figure, la fille aux cheveux roux poursuivie dans d'étroite ruelles trahissent les influences italiennes, celles de Mario Bava, de Dario Argento. Le réalisateur s'amuse aussi à retrouver le charme du Technicolor, et parvient, malgré les couleurs qui éclatent et envahissent l'écran, à créer un univers sordide, sale, parfois répugnant.
Film à tiroirs, film-gigogne, I Madman s'avère un véritable feu d'artifice de virtuosité, tant artistiques que techniques, et il faut saluer les excellents effets spéciaux de Randall William Cook (à la fois technicien et comédien, puisqu'il incarne, à la manière d'un Lon Chaney contemporain, l'hallucinant et nauséeux Malcom Brand), et la très belle partition musicale de Michael Hoenig, baroque et dramatique à la fois, comment au temps de la Hammer Films. Bref, voilà un spectacle qu'il faut, toutes affaires cessantes, aller savourer, comme un bon vieux manuscrit oublié dans un grenier poussiéreux... même si parfois un monstre redoutable et affamé, horrible créature surgie de l'Enfer, s'apprête à vous sauter dessus pour vous réduire en bouillie !

Daniel Scotto (Mai 1990)


 
 

 


 

Bruno Estragués ©